Un lit, une commode, une bibliothèque ; seuls meubles
de l’Antéchrist.
Devant sa fenêtre, orné de rouge, un vase d’argile et de
métal. Son éclat d’antan, sous la rouille infectieuse, transparaît de ses
dernières lueurs. Chaque début de semaine, une nouvelle fleur prend possession
de ce vase gangrené mais jamais de lys. Jamais de Lys. Ce lundi de mai 1905, comme toute veille et tout lendemain, l’Antéchrist erre dans ce paysage montagneux. Ce paysage, le montagnard l’a connu depuis la glorieuse Révolution. Retranché dans une vie ascétique, sa seule passion demeure la lecture. Sur sa grande bibliothèque, trois livres trônent comme témoins des derniers vestiges d’une âme morte. Michelet, Platon et Nietzsche. Trois auteurs, trois œuvres qui ont survécu aux ravages d’il y a peu. A quelques pas de la bâtisse, l’herbe noircie témoigne de la mort d’un esprit. Un prêtre à leur tête, ces hordes ont tué. Mais l’Antéchrist lui, survit. Ce jour-là, il errait, comme à son habitude. Son vagabondage l’a sauvé. De cette meute fanatique, sous une mue de piété, émanait de son sang et de sa moelle, une haine, une ire, une violence. Non contre le corps de l’Antéchrist, mais contre sa conscience et sa connaissance. Mais le meurtre prémédité de la raison par l’obscurantisme a échoué. Même sans base, l’esprit de l’humanité est. L’esprit demeure, au demeurant, dans sa demeure ; l’Antéchrist, et dans son essence. Cette vie d’exil, son sens lui échappe. Pourquoi rester montagnard, confiné à l’inconscient de tous ? Alors il erre, il erre sans savoir quel Graal le meut. Lorsque, arrivé au bout de lui-même, il passe à nouveau son seuil, il ne sait trop s’il retrouve sa maison ou sa prison.
Trônant aux côtés du muguet, un quatrième livre repose. Une bible, épargnée par ces croisés d’une nouvelle ère. Suivant l’Antéchrist sous son toit, le vent s’engouffre et vient ouvrir ce livre dont les pages se tournent, vierges. Oui, l’Antéchrist a la foi, une foi en l’Homme. Cette bible sert à la lui rappeler, à lui rappeler, à chaque page, qu’il ne sait rien. Aussi, ce livre des vérités ne contient pas une seule ligne.
L’Antéchrist ne le sait pas, mais c’est son nom et sa nature qui le conditionnent. Son errance, son exil, cela tient à son essence. Son nom en témoigne, il fût avant le Christ. Sa patrie, Rome ; sa mère, Rome ; sa fille, la société ; il a tout perdu. Enfermé jusqu’en 1789 dans les cachots de la Bastille, l’Antéchrist fût libéré le temps d’une assemblée, pour finalement être condamné à vagabonder, lui, ce montagnard des premières heures. Il en a même oublié qui il était. Depuis le temps, il erre, il erre, peut-être inconsciemment, à la recherche de ces ruines. Celles d’un bâtiment public, image d’une gloire passée. Une colonne, quelques pierres effondrées demeurent mais l’on distingue tout de même une inscription… Antichristus rem publicam est.
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