« On dit les idéologies mortes, mais les plus efficaces sont celles qu'on ne perçoit pas comme telles. » Marc Augé
Le XIXe, contrairement au siècle précédent, s'est achevé dans un calme des plus complets qu'on eut peine à croire qu'il fut le siècle des révolutions. Élancée par l'ardeur et l'exemple de 1789, la première partie du XIXe fut le théâtre de tous les combats romantiques ; que l'on pense à la pointe de l'épée napoléonienne qui fit trembler le monde et aux deux révolutions – de 1830 et 1848 – qui ont fait de l'Europe le champ des révolutions romantiques. Dans ce demi-siècle, les idéaux volaient dans les airs, et il n'a pas fallu attendre longtemps pour que les peuples les prissent et s'en fissent des couronnes de lauriers. L’Histoire les regardait, et le peuple français souriait à son destin comme la Liberté sourit aux hommes libres.
La Révolution française avait permis de rompre avec la rigidité de l'Ancien-Monde, et d'instaurer les prémices du nouvel ordre mondial, mais peu s'en fallu qu'elle contemplât ses enfants mourir la Liberté chevillée au corps. Ce demi-siècle fut donc l'orchestre de tous les bruits du bas peuple, avant que la seconde moitié ne vît la marche effrénée – et maintenant inexorable – de l'idéologie dominante : le peuple avait gémi, la bourgeoisie reprit désormais ses droits. Ainsi, les ébullitions de 1848 éteintes, le capitalisme et la financiarisation de l'économie entreprirent une vaste implantation dans les Nations européennes, en Amérique, et un peu plus tard sous l'ère Meiji, au Japon. En France, c'est le second Empire qui marque la pleine puissance des banques, la consommation de masse et le capitalisme de grande échelle. C'est aussi une période faste économiquement pour la France, que d'aucuns appelleront « l'âge d'or » jusqu'à la première guerre mondiale. C'est que ces trois mamelles de l'idéologie dominante (Financiarisation / Libéralisme / Société de consommation) étaient à leur commencement, et si l'avarice en était néanmoins consubstantielle, il lui fallait par ailleurs pour s'implanter, en faire bénéficier le plus grand nombre. Néanmoins la bourgeoisie capitaliste exerçait déjà un certain mépris, et la révolution industrielle détruisant le paysage provoqua des remous. Flaubert en témoignera allègrement : « j'appelle bourgeois quiconque pense bassement », « la haine du Bourgeois est le commencement de la vertu. » comme Maupassant dans ses romans. C'est aussi les débuts de Karl Marx qui comprend et entreprend de démonter les perfidies du système économique qui s'instaure progressivement. Rien n'y fera, Rousseau avait déjà baissé l'échine devant Voltaire, cinquante ans plus tôt.
Cependant, comme le XIXe siècle, le XXe allait débuter de la même manière, les deux révolutions seront cette fois-ci matérialisées en deux guerres mondiales, à la fois coup de frein pour l'instauration du système économique, et en même temps tremplin exceptionnel juste après 1945.
Au sortir de la guerre, le mot d’ordre est avant tout chose la reconstruction du pays dans une économie exsangue, pillée à grande caisse par l’effort de guerre et l’occupation allemande.
Repartir sur de nouvelles bases, refaire fonctionner le plus vieux pays du monde, voilà un sacerdoce dont seul à l’Etat et à la communauté nationale pouvait incomber la tâche. Aussi, l’économie était-elle comme au temps de Louis XIV l’affaire exclusive de l’exécutif, et le système étatique, une garantie de redressement et de cohésion nationale au sortir d’un événement traumatisant. Comme un être blessé, la France cherchait à panser ses plaies internes tout en reformant son pré-carré colbertiste : reformer l’espace nationale, donner l’essor à la consommation, et s’affirmer en pointe sur les domaines porteurs. Pour l’espace nationale, la récupération de l’Alsace-Lorraine et l’occupation de la zone rhénane pour le charbon et l’acier débouchant sur la CECA ( 1951 ) en sont le parfaite exemple. La consommation quant à elle devait jouir au préalable d’une industrie suffisamment performante pour poser les bases d’une relance économique projetée sur le modèle keynésien d’outre-Atlantique. Ainsi n’est-il pas surprenant qu’en 1947, les États-Unis décidèrent une aide économique sur l’ensemble du territoire européen non affilié au Communisme (Guerre Froide oblige) avec le Plan Marshall. Une manière pour les USA non seulement d’écarter la menace soviétique en Europe – Staline étant toujours vivant – mais aussi d’entraîner le vieux continent dans un processus économique dont ils savaient en tirer un grand bénéfice plus tard.
Ce point sera crucial pour comprendre la suite logique de la construction monétaire et financière qui sera abordée au cours des chapitres suivants. Cette aide américaine, donc, devant permettre la reconstruction des pays européens dont la France pour se doter d’industries performantes et d’usines à même de sortir les gens de la misère par la consommation, créatrice de richesse pour à terme moderniser le pays. Enfin, de ces industries lourdes, le général De Gaulle en fera des fleurons capables de mettre la France aux premiers rangs européens et mondiaux (nucléaire, aérien, spatiale…) permettant, de fait, une balance commerciale excédentaire. Une richesse accrue, une modernisation prégnante, une consommation en plein essor et qui plus est un chômage quasi inexistant, nous sommes bien là dans la période que l’économiste Jean Fourastié décriera comme « les Trente glorieuses » couvrant l’époque d’après-guerre jusque peu après la mort du Général.
Une autre révolution – symbolique – à venir allait désormais finir d'asseoir l'idéologie dominante finissant l’œuvre commencée un siècle et demi plus tôt.
1789 avait tué le Roi, 1968 allait tuer l’État.
Armonius
Chapitre 3 -- Chapitre 5
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Toute insulte dans un commentaire entraînera la non publication de celui-ci.